Compliance, Covid-19 et attestation



« Une attestation à chaque sortie ? », « A quoi ça sert ? », « C’est compliqué », « C’est inutile », l’ensemble de ces remarques concernant les attestations de déplacement dérogatoire utilisées pendant le confinement illustre une incompréhension des personnes physiques concernant leurs fonctions. Quelques semaines après le déconfinement, explication de texte.


Le mécanisme des attestations n’est pas méconnu en France, du moins, par les personnes morales : il s’agit d’un mécanisme de compliance[1]. Généralement, les techniques de compliance ont pour effet de reporter sur les acteurs économiques des objectifs normalement dévolus à l’Etat[2]. C’est le cas en matière de protection des données ou de lutte contre le blanchiment pour lesquelles la réglementation impose la tenue de registres ou la mise en œuvre de procédures. Lors d’un contrôle, il sera, en effet, bien plus facile de démontrer que tel document n’existe pas ou a été mal rempli plutôt que de prouver qu’une entreprise n’a pas respecté son devoir de vigilance ou de transparence.


S’agissant de la pandémie de Covid-19, l’État devait trouver un mécanisme pour encadrer et contraindre les comportements des personnes physiques, les responsabiliser et, de manière accessoire, à l’heure des réseaux sociaux, assurer une application homogène de la réglementation pour éviter les incompréhensions et les sensations d’inégalité[3]. Il s’agissait donc d’objectiver un maximum la situation pour provoquer une réponse administrative et, le cas échéant, servir de base à une sanction.

L’idée de l’attestation, sur une idée déjà testée en Italie, s’est imposée au regard de ces objectifs. En effet, il est bien plus facile de vérifier si la personne avait (ou n’avait pas) une telle attestation plutôt que de vérifier la pertinence du motif impérieux qui serait invoqué par chaque personne. La seule discussion possible devenait donc « Avez-vous votre attestation ? », « Est-elle bien remplie ? » plutôt que de se lancer dans de longues discussions sur le pourquoi et le comment de l’errance de chaque personne.

L’attestation se devait, en outre, d’être une réelle contrainte. Le fait pour chaque personne physique de devoir rédiger une attestation à chaque sortie, d’une durée limitée[4], dont le formalisme est requis ad validitatem, permet de responsabiliser les personnes physiques qui, au moment de rédiger l’attestation, se poseront la question de l’importance de la sortie visée. En cela, l’application numérique qui est apparue quelques semaines plus tard était probablement une erreur car la simplification qu’elle engendrait était en contradiction avec l’objectif initial.


Comme pour les entreprises, l’attestation avait vocation à documenter une démarche préalablement à la sortie, pour le cas où un contrôle surviendrait. Et comme pour les entreprises, une sanction administrative voire pénale pouvait être prononcée en cas de défaut[5].

Cependant, rigueur juridique et précision ne sont pas incompatibles avec clarté et pédagogie. En l’espèce, un tel document aurait pu être autoporteur sur le plan pédagogique tout en répondant à une contrainte matérielle majeure (imprimable sur une page). Or, le langage administratif utilisé pour les attestations ne permet pas de remplir cet objectif pédagogique en empêchant les personnes physiques de s’approprier l’utilité de ces attestations. Les techniques de design ou de langage clair sont pourtant bien connues en sciences juridiques et en matière de légistique.


Quelques semaines après le déconfinement, l’attestation est encore un des sujets qui revient le plus dans nos conversations. Alors pourquoi tant de crispation ? Probablement car le mécanisme, inspiré sans aucun doute possible des techniques de compliance largement pratiquées dans les pays anglo-saxons, ne fait pas partie de notre culture juridique. Et pourtant, ce phénomène de la compliance est déjà devenu la norme dans nombre d’entreprises et nous le mettons quotidiennement en œuvre au sein d’Examin.


[1] La compliance (ou conformité) peut être définie comme « un ensemble de techniques, juridiques et de gestion, dont la mise en œuvre est imposée aux entreprises de taille significative dans le but de contrôler l’application effective des règles juridiques et éthiques qui leur sont applicables et de diminuer le risque d’infraction à ces règles », Gaudemet, Antoine, « Qu’est-ce que la compliance ? », Dans Commentaire 2019/1 (Numéro 165), pages 109 à 114.
[2] Frison-Roche, M.-A, « Compliance : Avant, maintenant, après », working paperhttps://mafr.fr/fr/article/compliance-avant-maintenant-apress/, 12 décembre 2017.
[3] Il s’agissait en particulier de limiter (pour le meilleur et pour le pire) l’interprétation de la situation par les forces de police.
[4] Souvenez-vous que la première version de l’attestation ne mentionnait pas l’heure ce qui pouvait quasiment éliminer son caractère contraignant.
[5] La sanction due à la violation des règles du confinement (et donc de l’attestation) pouvait être de l’ordre de 3.750 € d’amende et d’une peine d’emprisonnement de six mois au maximum, outre des peines complémentaires (art. L.3136-1 du code de la santé publique).